Le Parcours express sein, une prise en charge personnalisée, rapide et multidisciplinaire
Le Pr Catherine Uzan est cheffe du service de chirurgie et de cancérologie gynécologique et mammaire à l’Hôpital Pitié-Salpêtrière, AP-HP. Chaque année, plus de 500 femmes atteintes d’un cancer du sein sont prises en charge à la Pitié-Salpêtrière. Nous l’avons interrogé sur la prise en charge du cancer du sein et sur ce parcours sein spécifique.
Que pourriez-vous nous dire sur l’évolution de la prise en charge du cancer du sein sur ces dernières années ?
La prise en charge du cancer du sein est de plus en plus spécialisée. Tout d’abord, il faut rappeler qu’il n’y a pas qu’une sorte de cancer. Il y a plusieurs cancers du sein et ils n’ont pas du tout les mêmes impacts pour les patientes.
Avec le « Parcours sein en 1 jour » mis en place à l’hôpital Pitié-Salpêtrière, AP-HP, une patiente qui se présente le lundi va être vue en consultation par le chirurgien puis par le radiologue sur la même journée. Par exemple, je vais rencontrer la patiente, ensuite l’imagerie et les prélèvements permettant un diagnostic de certitude sont réalisés le même jour. La patiente est vue de nouveau dans la semaine avec le résultat des prélèvements. A ce moment, une prise en charge après avis multidisciplinaire lui est proposée. Si une intervention chirurgicale est nécessaire, la consultation d’anesthésie est organisée et une date d’intervention est programmée dans les 15 jours qui suivent sous couvert que d’autres examens ne soient pas nécessaires. Pour les patientes ayant déjà un diagnostic, tous les éléments du dossier sont revus pour définir si d’autres examens sont nécessaires et dans les 15 jours qui suivent la prise en charge adéquate est organisée en concertation avec les oncologues. Ainsi, les femmes atteintes d’un cancer du sein bénéficient d’une prise en charge adaptée et rapide.
Dans notre parcours, on parle justement de personnalisation de la prise en charge. Ainsi en fonction du profil de la patiente, des pathologies connues, on va être en mesure d’évaluer le traitement médical le plus intéressant pour elle. Ici, on se pose la question du meilleur parcours médical pour chaque patiente.
On a des patientes qui ont des antécédents de pathologies chroniques, ce qui nous oblige à adapter leur traitement.
À l’AP-HP, notre fonctionnement en réseau dans le plus grand CHU d’Europe nous permet justement de pouvoir dire à chaque patiente “on va pouvoir vous accompagner dans votre prise en charge globale”. Nous prenons en compte l’histoire de nos patientes mais également l’impact de chaque traitement notamment pour éviter les risques de complication et nous mettons en place la désescalade médicale et chirurgicale quand nous le pouvons.
Ainsi, pour toute patiente en âge de procréer une consultation d’oncofertilité au sein du GH sera proposée. En effet, les traitements peuvent potentiellement altérer la fertilité ultérieure, elle doit être informée de ce risque, de l’intérêt d’un suivi à long terme et des stratégies de préservation.
A l’AP-HP, nous avons la capacité de pouvoir accompagner les patientes sur la fertilité après le traitement de leur cancer. Les patientes pourront être prise en charge dans leur projet de grossesse ultérieur avec concertation entre la patiente, l’oncologue, le spécialiste de la fertilité et l’obstétricien.
De plus, nous possédons un accueil “Saignement génital anormal”. Si j’ai besoin pour certaines patientes de faire une échographie, une hystéroscopie ou une colposcopie ; tous ces examens peuvent être faits le même jour.
Nous avons également un parcours spécifique pour les femmes atteintes d’endométriose. Une première consultation permet de caractériser la douleur, de poser un traitement, de compléter l’imagerie si nécessaire puis une deuxième visite trois mois plus tard permet de voir les effets du traitement médical sur la patiente.
Ainsi, nous pouvons proposer en une journée des offres combinées de soin au sein d’un parcours express pour des patientes.
Vous avez évoqué la désescalade, qu’est-ce que cela signifie ?
La désescalade thérapeutique consiste à alléger les traitements pour des résultats similaires. Concrètement, il s’agit pour chaque patiente de se poser la question de son traitement ou de sa chirurgie et de savoir si on peut en faire moins afin de limiter les effets secondaires tout en préservant le soin et le traitement de nos patientes.
La pratique de la chirurgie a évolué. Les conditions s’améliorent. On maximise dorénavant les chirurgies ambulatoires et nous avons pour cela une plateforme très adaptée à la Pitié-Salpêtrière, AP-HP. Le but est donc d’être le moins intrusif, disruptif dans la vie des patientes.
Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ce parcours sein en 1 jour a été créé et les différents professionnels qui y travaillent ?
Chaque année, dans notre service de chirurgie et de cancérologie gynécologique et mammaire, plus de 330 nouvelles patientes sont opérées. Avec ce parcours, nous sommes en mesure de proposer aux patientes atteintes d’un cancer du sein un accompagnement spécifique face à leur cancer. Nous ne sommes pas seulement là pour traiter le cancer, nous sommes présents pour gérer l’ensemble du contexte de chaque patiente, en initial et par la suite. Parfois les patientes sont confrontées à des complications de suivi. Nous les accompagnons et nous sommes en mesure de réaliser les examens nécessaires pour comprendre, traiter et faire le lien avec nos collègues de la ville (les cabinets médicaux de ville par exemple). L’hôpital ne se substitue pas à la médecine de ville. Il est donc primordial de faire le lien.
Nous nous rendons compte que ce parcours permet de répondre aux différentes angoisses de nos patientes. Nous sommes souvent dans une urgence psychologique, il est impératif de pouvoir les guider et de leur dire “ici, vous pouvez vous laisser porter, on s’occupe de tout”. Ici, les femmes qui désirent être prises en charge rapidement sont accompagnées, suivies sur toutes les étapes.
Il y a les médecins mais également les paramédicaux formés, comme les infirmières d’annonce, qui vont pouvoir parler des soins supports, de l’action physique, de l’alimentation adéquate.
Nous avons aussi des infirmières de pratique avancée qui ont un rôle important dans les parcours pendant et après les soins. Lors de chimiothérapies, elles vont par exemple suivre la tolérance des patientes, les observer, les rassurer, et des protocoles de délégation de tâches ont été mis en place.
Il y a également des patientes partenaires. Ce sont des patientes qui sont passées par le cancer du sein et qui ensuite ont été formées et diplômées par l’Université des Patients du Pr Catherine Tourette Turgis. Elles vont alors être en capacité de soutenir les patientes et de s’appuyer sur leur propre expérience pour les accompagner au mieux.
Nous accompagnons toutes les patientes quelles que soient leur situation, leur origine, au global et sur toute la durée de leur traitement.
Quels sont les enjeux pour les années à venir ?
Nous avons plusieurs enjeux pour les années à venir.
Tout d’abord, bien évidemment, la recherche. Nous ne traitons pas aujourd’hui de la même façon qu’il y a 2 ans. De multiples protocoles sont en cours pour optimiser encore le pronostic des cancers les plus agressifs comme les cancers triple négatif ou diminuer les rechutes tardives. A la Pitié-Salpêtrière AP-HP, l’existence du CLIP² Galilée, labélisé par l’Institut National du Cancer en 2015 puis en 2019, permet d’avoir accès à des essais de phase I c’est-à-dire des molécules innovantes notamment pour les tumeurs rares. Un maximum de patientes doit pouvoir bénéficier des avancées thérapeutiques permanentes.
Ensuite, l’enjeu de “l’après cancer” : il est important pour nous de poursuivre notre travail avec l’Université des patientes avec Sorbonne Université. Cela nous permet d’accompagner plus de patientes en formant des femmes qui ont traversé l’épreuve d’un cancer et qui vont pouvoir être une véritable ressource pour l’hôpital et pour les patientes en soin. Le cancer est une période extrêmement difficile pour les femmes, il faut que nous puissions nous améliorer pour les accompagner dans leur vie, pendant les soins, mais également pour l’après.
Enfin, nous avons un enjeu de formation des médecins et paramédicaux aux nouveaux métiers qui se développent avec les parcours de soins que nous mettons en place. Nous devons aussi les former aux nouvelles méthodes thérapeutiques et traitements mis en place.
Et le mécénat peut jouer un rôle très important sur tous ces enjeux. Les financements des donateurs et des entreprises peuvent nous aider à accélérer la recherche, et améliorer la qualité de vie des patientes en finançant des activités importantes comme : la socio esthétique, des ateliers d’écriture, de l’art thérapie, des activités physiques…
Est-ce qu’il y a des messages que vous voudriez faire passer aux femmes ?
Oui, déjà je souhaite rappeler que nous accueillons toutes les femmes en nous adaptant à leur situation (nous avons par exemple une expertise en matière de prise en charge d’un cancer pendant la grossesse), leurs pathologies associées, leur âge.
Ensuite, je souhaite rappeler que la prévention a un rôle déterminant. Il y a des facteurs actionnables pour jouer sur son risque de cancer du sein. L’environnement dans lequel on évolue, le surpoids, l’alimentation, l’absence d’activité physique ont un rôle sur le développement du cancer du sein. Chaque patiente peut avoir besoin d’un suivi spécifique en fonction de ses facteurs personnels. Nous disposons d’ailleurs dans le service de la plateforme de gestion des risques en cancérologie (PGRC) qui accueille les femmes qui désire évaluer leur risque de cancer du sein. Nous avons une étude en cours AdDEPI-KS qui propose d’évaluer l’impact de ces conseils sur la diminution des facteurs de risques sur le long terme.
Une majorité de cancers du sein peuvent être très bien traités. Et je souhaite rappeler que les femmes traitées d’un cancer du sein sont des battantes, elles sont des atouts pour leur entourage, leur entreprise, leur cercle d’amis. Le cancer transforme. Il fait généralement changer de regard et nous devons les aider à ce que, ce qui peut être considéré comme une faiblesse, devienne au contraire un atout pour la vie après le cancer.