Parcours Express Sein : témoignage de Stéphanie Malphettes
Stéphanie Malphettes est psychothérapeute, spécialisée en psycho-oncologie. Atteinte d’un cancer du sein, elle a été suivie et traitée dans le service de chirurgie et de cancérologie gynécologique et mammaire à l’Hôpital Pitié-Salpêtrière (Pr Catherine Uzan), AP-HP. Nous avons échangé avec elle. Ensemble, nous avons parlé de son cancer, du regard qu’elle portait sur elle-même et de son combat pour se retrouver et vivre après le cancer. Découvrez son témoignage.
Comment avez-vous appris que vous étiez touchée par le cancer du sein ? Comment avez-vous ressenti cette annonce ?
Le cancer est arrivé à un moment difficile. J’étais fatiguée, déprimée. Je venais de perdre deux personnes qui m’étaient très chères, un ami journaliste, mort à Mossoul en Irak et mon beau-père qui avait la maladie d’Alzheimer.
Le médecin m’a dit de ne pas m’inquiéter, que c’était certainement lié aux deuils que je traversais. J’ai ensuite senti « quelque chose » en palpant mon sein. La gynécologue m’a elle aussi conseillé de ne pas m’inquiéter et m’a prescrit une mammographie « pour me rassurer ».
Au cabinet d’imagerie, tout s’est enchaîné, la mammographie, l’échographie, la biopsie. Je passais de box en box, l’angoisse montait. L’assistante du médecin a été formidable. Elle a pris le temps de m’expliquer chaque étape. J’étais assise au bord de la table d’examen, sonnée. Je lui ai demandé “Et quand est-ce que je pleure ?” et elle m’a répondu doucement “ maintenant”. Elle m’a prise dans ses bras.
Après la biopsie, le médecin m’a dit que je devrais attendre au moins cinq jours pour avoir les résultats. Je suis sortie dans la rue, je marchais sans savoir où j’allais. J’ai appelé mon mari. C’était un lundi, quelques jours avant Noël. Les passants faisaient leurs courses pour le réveillon et moi, j’allais mourir.
Comment s’est passée la prise en charge de votre cancer ?
Un ami médecin m’a conseillé de me rendre dans le service de chirurgie et de cancérologie gynécologique et mammaire à l’Hôpital Pitié-Salpêtrière, AP-HP. J’ai obtenu un rendez-vous rapide grâce à la formidable organisation du service. Heureusement car cette phase d’attente, d’incertitude entre la biopsie et la prise en charge est la plus difficile.
L’équipe m’a tout de suite rassurée : mon cancer allait être soigné, guéri, je n’allais plus mourir. Cela m’a permis de m’apaiser un peu et d’entrer dans une phase active : le traitement. Je suis devenue actrice de ma guérison.
La semaine suivant mon rendez-vous avec le Professeur Catherine Uzan, j’étais opérée. Ma tumeur a été enlevée en janvier 2018. J’ai pu garder mon sein et j’ai débuté la chimiothérapie puis la radiothérapie. Cela a duré neuf mois.
Je me suis entourée. J’avais ma famille, mes amis. Et puis à l’extérieur de l’hôpital je voyais ma psychanalyste, un acupuncteur pour les effets secondaires de chimiothérapie, un coupeur de feu pour la radiothérapie.
J’ai aussi rencontré des femmes formidables, qui sont des bénévoles, dans le service du Pr Spano. Ce sont “les abeilles”. Elles apportent des madeleines et du chocolat chaud aux patients pendant les séances de chimio. Elles leur proposent de leur tenir compagnie. Elles ne s’imposent pas mais elles sont là. On peut leur parler séries, tricot, cancer, vernis à ongle (très important le vernis à ongle en chimio !).
Y a t-il un moment particulier que vous pourriez nous partager ?
Il y en a plusieurs. L’annonce du cancer, d’abord. C’est un grand coup de tonnerre dans un ciel calme.
Je me souviens d’une anecdote. Peu de temps après l’annonce, je faisais la queue dans un magasin et une femme âgée a doublé tout le monde. Je lui ai signalé que nous étions là avant elle, elle a dit de façon agressive : « Je suis handicapée, vous voulez voir ma carte ?». Je lui ai répondu « et moi j’ai un cancer ! Vous voulez faire une bataille de carte ? ». C’était ridicule ! Surtout ça ne me ressemblait pas : je suis plutôt discrète et bien élevée. Je suis rentrée chez moi, j’ai dit à mon mari “je suis en guerre”.
Et puis, comme pour beaucoup, il y a la question des cheveux. Je suis rousse, mes cheveux sont mon signe de reconnaissance, l’indice que je donne quand je dois rencontrer quelqu’un que je ne connais pas dans un lieu public : « vous verrez, je suis rousse ! ».
Je redoutais le moment où ils tomberaient. J’ai anticipé. Je les ai coupés courts et j’ai pris rendez-vous dans un magasin de perruques. J’y suis allée une première fois pour en trouver une qui ressemblait à ma couleur, à ma coupe.
Après la première chimiothérapie, j’ai commencé à perdre beaucoup de cheveux. C’est terrible de voir des mèches entières dans la douche. On tombe en morceaux.
Je suis retournée chez la perruquière. Je m’étais préparée, maquillée, j’avais mis des boucles d’oreille. La coiffeuse m’a expliqué qu’elle allait me raser la tête et m’a demandé si je voulais me regarder dans le miroir ou pas pendant ce temps-là. J’ai refusé. Elle a baissé un store pour cacher le miroir. Elle a passé la tondeuse sur mon crâne, très doucement, en me parlant. Quand elle a terminé, elle m’a demandé si je préférais qu’elle reste ou s’en aille. Je lui ai demandé de me laisser seule. J’ai relevé le rideau, je me suis regardée et je me suis trouvée très belle. J’étais fière.
Le cancer ne touche pas que la personne malade, il touche également la famille. Comment cela s’est passé au sein de votre famille ?
Quinze jours après mon diagnostic, nous avons appris que mon mari avait un cancer de la prostate. En accord avec son médecin, il a fait le choix d’attendre que mon cancer soit guéri pour s’occuper du sien. Il a été un accompagnant formidable. J’ai eu la chance d’être très bien entourée, mais il y a beaucoup d’hommes qui s’en vont quand leur femme a un cancer : ils ne supportent pas de devoir s’occuper d’elle, de voir leur corps changer, d’affronter l’idée qu’elle puisse partir.
Ma famille, ce sont aussi nos deux filles qui avaient à l’époque 9 et 14 ans. Je pense que c’est le “truc” que je n’ai pas bien géré. J’ai été assez égoïste. J’avais mis mon armure, je me battais. Je souffrais aussi, j’étais fatiguée, mal fichue. Et je ne faisais plus très attention aux autres. Je n’ai pas assez protégé mes filles. L’aînée avait des problèmes de santé dont je ne me suis pas occupée.
Pour m’aider, elles ont fait comme si tout allait bien. Quand je suis rentrée avec ma perruque, la plus jeune a voulu l’essayer et nous avons ri devant la glace. Je l’en remercie : sur le moment cela m’a fait beaucoup de bien. Mais, je me suis rendu compte, longtemps après, que voir ma tête chauve l’avait traumatisée. Il a fallu plusieurs années pour qu’elle puisse à nouveau toucher mon crâne. Pour elle, c’était le symbole de la maladie. De la mort qui aurait pu lui prendre sa maman.
J’ai aussi été maladroite dans ma façon de lui en parler. J’ai dit que j’avais une “boule” plutôt qu’un “cancer”. Bien sûr, quelques semaines plus tard, le mot « cancer » a été prononcé par quelqu’un. Elle s’est sentie trahie et m’en a énormément voulu.
Qu’il s’agisse du mot cancer ou de ma perruque, j’ai trop fait « comme si », « comme si » ça n’était pas grave. J’ai minimisé. Or les enfants ne sont pas dupes. C’est très angoissant pour eux de sentir qu’on leur cache la vérité. Cela rend cette vérité encore plus effrayante. C’est l’horrible monstre qu’on imagine caché sous le lit dans le noir et qui devient un simple ours en peluche une fois qu’on allume la lumière. Alors bien sûr, un cancer est plus méchant qu’un ours en peluche. Mais on peut essayer de ramener chaque chose à sa juste place.
Je le vois aujourd’hui avec mes patientes qui se demandent que dire à leurs enfants : pour les protéger, il est bien tentant de se taire. Je pense qu’il faut dire la vérité aux enfants. Mais pas la vérité toute nue. Il faut leur expliquer les choses, les rassurer sur le fait que les médecins font leur maximum. Il faut adapter son discours à leur âge. Il faut pouvoir être à leur écoute, leur permettre d’exprimer leurs inquiétudes (ce que je n’ai pas fait en jouant au « comme si ») et leur répondre.
Je voudrais aussi vous parler de l’intimité du couple qui est mise à mal pendant toute la durée des traitements et souvent après. Permettez-moi ici de ne pas vous parler de mon couple mais de ma pratique en psycho-oncologie. Lorsqu’elles ont un cancer, les patientes sont atteintes dans le plus profond de leur corps, dans leur intimité.
D’abord, il y a la tumeur, ce corps étranger, cet envahisseur. Ensuite, il y a la chirurgie, qui laisse des traces.
Et puis au quotidien, à l’hôpital, beaucoup de praticiens (médecins, infirmières, techniciens de radiologie…) les prennent en charge et devant chacun, elles sont à demi-nues. Elles n’ont pas toujours envie d’être touchées, ni d’être vues. Pendant le traitement, c’est comme si leur corps ne leur appartenait plus vraiment. Il appartient à la médecine (je précise cependant que la Professeure Catherine Uzan est très attentive à ce sujet).
Le corps abîmé devient un objet médical. Plus du tout un objet de désir. Les patientes l’aiment moins ou plus du tout. Le regard de la personne avec qui elles partagent leur vie est très important mais il peut être très difficile à accepter. C’est un équilibre très fragile.
Pendant et après la maladie, il faut un certain temps pour réapprendre à aimer son corps et pour accepter que quelqu’un le touche à nouveau. Il faut que les partenaires soient très conscients de cela.
Avez-vous des conseils ou des remarques à partager aux femmes qui ont un cancer ou à leur entourage ?
Si je peux donner un conseil aux aidants et aidantes, je dirais qu’il faut énormément écouter les femmes car la douleur psychique va se nicher à des endroits très différents pour les unes et les autres.
Face à la maladie, chacune à ses mécanismes de défense, il y a des femmes qui vont être positives, agressives, négatives, en repli, en colère voire dans le déni pour tenir le coup. Tant que ces mécanismes de défense ne les mettent pas en danger, il faut les respecter.
Autre chose : je me souviens que j’ai eu des moments où j’étais terrifiée, où je pleurais énormément, où je trouvais insupportable de me retrouver dans la rue avec une perruque et où je me demandais, “mais pourquoi ça m’arrive à moi ?”. J’aurais détesté qu’on me dise « sois courageuse ! »
Je sais qu’il est difficile, face à une personne malade, de trouver les bons mots. Mais il faut faire attention aux injonctions, très nombreuses pendant la maladie, comme “Bats-toi”, “sois courageuse”. Je trouve cela insupportable ! On fait ce que l’on peut avec la vie qu’on a eu, l’énergie qu’on a… ou pas.
En même temps, les phrases comme « mais que tu es forte et courageuse ! » sont tout aussi agaçantes. Car si on se bat contre le cancer, si on se défend, c’est parce qu’on n’a pas le choix !
Il m’est aussi arrivé de surprendre des regards de compassion, dans le métro ou dans la rue. Et je trouvais cela insupportable. Cela m’a rappelé les regards que moi-même j’avais pu porter sur des personnes handicapées. J’ai eu honte. Quand on a un cancer ou qu’on est porteur d’un handicap, on est un combattant, pas une victime.
Que pouvez-vous nous dire de “l’après-cancer” ?
Une fois les soins terminés, employeur, amis et famille, tout le monde s’attend à ce que les patientes soient « comme avant ». Or elles viennent de grimper l’Everest chaque jour ! On peut comprendre que ce soit fatigant, non ? Il faut leur laisser le temps !
Beaucoup de patientes se sentent déprimées, perdues. Elles se sont battues mais elles ont aussi été prises en charge, un peu infantilisées pendant des mois. Et là, tout d’un coup on leur demande de replonger dans le grand bain de la « vie normale », seules. Cela peut être angoissant.
Cela dit, le cancer, c’est aussi un moment de la vie où on peut s’interroger sur son désir. Quel est mon vrai désir dans la vie ? Qu’est-ce qui me fait vibrer ? Qu’est-ce qui compte vraiment ?
En réalité, on n’a pas tant besoin de « s’interroger sur son désir ». Il surgit, comme une évidence.
Le cancer c’est un moment où la mort rôde. Cela peut amener vers un passage dépressif. Mais cela peut aussi « réveiller » une pulsion de vie très forte et révélatrice. Ça ne veut pas dire qu’il faut forcément faire un grand ménage et tout changer. Mais il faut s’écouter.
Personnellement, j’ai décidé de me tourner vers la psycho-oncologie. J’ai voulu écouter des femmes qui traversaient cette épreuve. J’ai repris des études (un Diplôme Universitaire de psycho-oncologie), pour mettre un peu de science entre mon cancer et le leur. Pour pouvoir les aider, précisément, à écouter leur désir.
Quoi qu’il en soit, c’est une expérience que je ne regrette pas, car ce cancer et les points d’appuis que j’ai trouvés m’ont transformée. Je suis devenue un peu moins gentille, j’ai décidé qu’on ne me marcherait plus sur les pieds, j’ai pris conscience de ma puissance.
Depuis sa création, la Fondation de l’AP-HP soutient la recherche et l’innovation. Si vous souhaitez soutenir la recherche et lutter contre le cancer du sein, vous pouvez jouer un rôle dès maintenant en faisant un don à la Fondation de l’AP-HP.
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